vendredi 6 décembre 2013

Le rhume de Rafiky

(Article écrit en 2011)

Depuis que je travaille en foyer de travailleurs migrants, je constate que bien souvent lors des entretiens avec les petits papys, le thème des intestins et de leur bon fonctionnement fait irruption. Qu’il s’agisse de constipation, de diarrhée et autres petits plaisirs digestifs, tout y passe !


De nature, je suis ouverte et parle très librement de transit intestinal et de « petits tracas quotidiens » autour d’un repas copieux ou d’un apéro entre amis. Je n’irais pas jusqu’à dire que du coup, lors de ces entretiens je suis dans mon élément mais cela ne dérange en aucun point. En revanche, il y a des liquides et déchets humains qui m’écœurent : les postillons, le vomi, les crottes d’yeux et… Les crottes de nez !

C’est là, que mon histoire commence…

Rafiky est l’aîné de mes suivis. Du haut de ses 88 ans, il a l’allure d’un grand sage africain : le foulard qu’il porte sur la tête à la manière des nomades du désert, sa hauteur, sa canne et sa façon très lente de parler en roulant les « R ».
Il est mon premier suivi du foyer, il a vécu beaucoup de choses et le savoir qui en découle est impressionnant. C’est un papy moderne. Chaque jour, il me téléphone avec son portable pour me demander s’il peut venir me dire bonjour. Il en est fier, il a réussi à mettre le numéro de mon bureau dans son répertoire, tout en haut de la liste !

Rafiky m’appelle « ma fille » ou « ma belle » voire même « ma belle fille » et lorsqu’il raccroche au téléphone, il dit toujours « allez grosses bises » et éclate de rire. Un rire très communicatif, donc difficile de ne pas en faire autant.
Lorsqu’il vient me voir au bureau, c’est avec son sac plastique jaune contenant la totalité de sa vie sur papier : avis d’impositions de 1972 à 2010, certificats de travail, notification de retraite, titres de séjour depuis son arrivée en France, photos de sa famille, de ses voisins, du foyer… Et ses petits bonbons à l’eucalyptus qu’il me donne à chaque visite et dont mon tiroir de bureau est plein ! Car je dois l’avouer, je déteste les bonbons à l’eucalyptus et les refuser serait insultant pour lui.

Comme à son habitude, Rafiky vient me voir aujourd’hui à la permanence. Sa canne d’une main, son sachet jaune de l’autre. Sa doudoune Décathlon au dessus de son boubou (choc des cultures !) Ses lunettes rafistolées sur le nez et son grand sourire.

« Toc, toc, toc ma belle c’est monsieur Rafiky qu’il est là »

Au programme du jour : lecture des courriers reçus, déclarations CAF à remplir, prestation supplémentaire à demander à la CPAM pour sa dernière hospitalisation, déclaration des revenus 2009 aux impôts à faire (il est temps me direz-vous, j’ai découvert ce manquement il y a peu !), puis écoute d’un nouvel épisode du parcours de vie de Rafiky.

« Vous semblez encombré quand vous respirez, vous êtes malade ? »
« Ah suis malade oui, j’a les rhumes, la gorge, le nez »
« Vous êtes allez voir votre médecin ? »
« Non je va l’aller après toi »

Et là, c’est le drame !

Victime de son rhume, Rafiky éternue bruyamment et visuellement si fort que j’en ai mal aux naseaux pour lui. J
e vous passe les détails mais là c’est insupportable pour moi : il y en a partout ! Dans sa moustache, sur mon bureau et jusque mon clavier d’ordinateur !

Je me retiens de saisir mon manugel pour en asperger la surface de mon bureau !

Premier réflexe : « Et bien, à vos souhaits ! » m’obligeant à laisser le regard sur mon cahier, unique rescapé de l’avalanche.

Deuxième réflexe : « Bon je ne vais pas vous retenir monsieur, allez vite chez votre médecin vous n’êtes pas très en forme ! » Ouvrir la porte du bureau et attendre debout à côté de la porte, position qui permet de mettre dehors quelqu’un de manière polie et explicite !

Troisième réflexe : Surtout ne pas regarder le bureau, courir aux toilettes piquer environ 4 mètres de PQ, les imbiber de manugel, et tout en regardant le plafond, essuyer le tout… Non pas étaler, essuyer !

Quatrième réflexe : Aller raconter la mésaventure à sa collègue !

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