dimanche 24 novembre 2013

Toute, toute première fois

(Article écrit en septembre 2012)

Quand on a une stagiaire, au delà du rangement de nos dossiers et des boîtes de chocolats qu'elle nous offre avec l'espoir d'avoir une meilleure note à son évaluation (rhoooooo, je vois venir ! Je plaisante évidement), elle nous pose des questions. Beaucoup de questions. Des fois, trop.

N'exerçant ce métier que depuis quelques années, les souvenirs de la formation son encore frais pour moi. Face aux inquiétudes de Murielle (cf : La stagiaire Tante sociale) quant aux écrits à rendre, au thème du mémoire à trouver, aux attendus du stage... J'ai longuement eu l'occasion de discuter avec elle de mon vécu de la formation.
Et puis un jour, elle m'a dit : " Si j'ai mon diplôme l'année prochaine, je ne me sens absolument pas prête à être une assistante sociale, seule dans un bureau, et à accompagner des gens. Je crois que je ne saurai pas quoi leur dire. Comment ça s'est passé pour toi, ton tout premier jour de travail ? "

Et dans ma petite tête....

                                            La musique de "retour vers le futur"...

                                                                                   

Un retour en arrière de trois ans et huit mois très précisément, s'est fait et je me suis revue au volant de ma vieille Clio qui n'allait pas tarder à me lâcher, parcourant ces longs quatre vingts kilomètres, pour me rendre à mon tout premier jour de travail, qui plus est, en psychiatrie.

J'étais à la fois très heureuse et fière : ce poste en CDI je l'avais décroché sans piston, toute seule et n'ayant absolument aucune expérience dans le domaine. Et à la fois j'avais peur : la psychiatrie... C'est peut-être comme dans les films où l'on voit les patients avec des têtes de zombies déambuler en camisole dans les couloirs ou jouant avec des cubes en plastique, ignorés des soignants qui papotent entre eux dans la salle de repos ? Et moi, je sers à quoi dans ce décor ? Je dois boire le café avec les soignants ?

Comme à mon habitude, je me pose beaucoup de questions, je doute de moi. Il faut dire que parcourir quatre vingts kilomètres sans autoradio impose l'ambiance idéale pour cogiter inutilement et se transformer en casseur de chips ou enfonceur de portes ouvertes... Vous voyez ce que je veux dire, quand on a l'art de dépenser de l'énergie pour rien !

Arrivée sur le parking de la clinique, je respire un bon coup et je sors de la voiture. Vêtements bien repassés, petite mallette remplie d'un cahier, une trousse et des stylos tous neufs. La panoplie de la bonne élève. Comme un air de rentrée scolaire... mais ces habitudes là, je vais très vite les perdre !

A l'accueil de la clinique il n'y a personne. Dans le couloir non plus. Je me poste là, à côté de la poussiéreuse plante verte en plastique que je trouve moche mais qui meuble bien quand même, et j'attends...

Un médecin passe et me dit "pour la pré-admission mon collègue va arriver".
"Euh non, je suis la nouvelle assistante sociale"
"Ah... euh... je ne sais pas alors."  Il s'en va et me laisse là...

Je me sens tellement idiote, plantée là, à ne pas savoir quoi faire ni même comment me tenir !

Une secrétaire arrive enfin et appelle pour moi la cadre de santé. Les choses s'enchaînent très vite ensuite : signature du contrat, remise des clés du bureau, visite furtive de la clinique, là le micro-onde pour réchauffer mon plat si je veux et si j'ai un problème ou une question je peux l'appeler.

J'entre dans mon bureau : une petite pièce sombre, au bout d'un couloir avec juste en face les toilettes des patients. Les murs devaient être blancs à l'origine, ils sont crèmes, beiges... Blancs sale ! Un petit bureau peu solide certainement acheté au Confo d'à côté, un siège de bureau assorti. L'armoire en fer qui contient les dossiers sociaux des patients ne ferme plus à clé. Il y a un téléphone mais je ne trouve pas de prise de téléphonie pour le brancher. Sur le bureau, un post-it, que dis-je ?  LE post-it à garder ! Le numéro de l'ancienne assistante sociale qui me propose de l'appeler si besoin. J'ai bien envie de l'appeler de suite mais... je n'ai pas de prise de téléphone !

Je m’assois sur le siège de bureau et je tente de m’imprégner de toutes ces nouveautés mais une petite voix n'arrête pas de me dire "sauve toi, rentre chez toi, dis que t'es malade !"

Je suis seule dans ce bureau et je me demande vraiment ce que je suis censée faire. Est-ce que je dois aller à la recherche de mes collègues et me présenter ? Est-ce que je dois me balader dans les couloirs et faire connaissance avec les patients ? Je décide de ne pas m'aventurer dans la jungle tout de suite et de profiter de ce moment pour essayer de comprendre comment travaillait l'ancienne assistante sociale en explorant un peu ses dossiers.

J'ouvre le premier dossier de la pile.... Une pile... Cette méthode de rangement me laisse déjà perplexe.
Oh ! Non, non, non !
J'ouvre mon cahier tout neuf, première page "A faire d'urgence", premier tiret "Trier et organiser les dossiers patients !!!!" Comment pouvait-elle s'y retrouver dans ses dossiers ? Des post-it partout avec des numéros de téléphone sans nom ou des noms sans adresse ; aucune note retraçant un minimum le suivi de la personne, les démarches en cours ou à faire... Je reprends le relais de tout ça...

Mal à l'aise dans ce bureau qui n'est pas encore assez "mien". J'ouvre ma porte et me trouve nez à nez avec une patiente d'une trentaine d'années, apparemment inquiète, qui sort des toilettes le pantalon en bas de ses jambes et me dit "Y'a pu d'papier madame !" Prise au dépourvu de cette rencontre inattendue avec "l'autre monde", je ne sais absolument pas quoi répondre ni où poser mon regard donc tout en admirant le plafond je lui réponds " il faut peut-être demander aux infirmières  ? "

Première rencontre avec une patiente, suivie d'une première rencontre avec une infirmière. Accueil chaleureux et présentation à ses collègues présentes. La journée passe finalement très vite. J'ai la tête pleine et gonflée comme une bonbonne de gaz posée à côté d'une cheminée.

De retour dans ma voiture, je fais le bilan de cette journée :

- Les patients me font peur, je ne sais pas comment m'adresser à eux : dois-je parler comme à des enfants de 3 ans ou comme à des adultes même s'ils ne comprennent pas la moitié de ce que je dis ?
- Je suis vraiment nulle pour aller vers les autres et je me sens idiote d'être si timide.
- Est-ce que je suis vraiment à la hauteur et prête à travailler seule, en totale autonomie ?
- Et si je n'y arrive pas  ?
- Et si....
- Et si...

Sur la route du retour, un parfum de première fois embaume la voiture. Un profond sentiment de solitude m'envahit. Finalement le même sentiment que lorsque j'ai obtenu mon permis et quand fière de moi mais apeurée de ne pas réussir à tenir le volant et changer de station de radio en même temps... je conduisais seule pour la première fois.

samedi 23 novembre 2013

La stagiaire Tante Sociale

(Article écrit en avril 2012)

Depuis février j'accueille ma première stagiaire. Je ne sais pas encore si je vais par la suite vous reparler d'elle donc dans le doute, je vais la prénommer Murielle.

Murielle a 23 ans et est en 2e année. Elle fait ses études d'assistante sociale dans l'école où j'ai suivi ma formation. Lorsque j'ai reçu sa demande de stage, j'ai fait comme pour les autres : je l'ai lue vite fait et puis je l'ai mise de côté, dans le tas avec toutes les autres, sans intention d'y répondre tout de suite.

Puis j'ai reçu un mail de ma chef qui avait pour objet « stagiaire », ce qui a attiré ma curiosité. Dans ce mail, elle m'expliquait que cette jeune fille devait effectuer son stage initialement ailleurs, mais faute de budget, celui-ci s'est annulé à la dernière minute. Murielle se trouvait donc en retard d'un mois dans son stage vis à vis de l'ensemble de sa promotion et l'appel au secours était donc lancé.

Comme toute bonne Sainte Rita, je me suis donc dévouée pour me lancer dans cette folle aventure mais non sans quelques appréhensions. Je n'exerce mon métier que depuis moins de quatre ans et un tourbillon de questions en découle :

  • Suis-je capable de transmettre, d'apprendre, de faire découvrir mon métier correctement ? 
  • Est-ce que je maîtrise suffisament mon métier ?
  • Est-ce que j'ai la prestance d'une formatrice ?
  • Est-ce que je suis suffisament organisée, professionnelle pour laisser quelqu'un voir mon travail cinq jours sur cinq ?
  • Et si je n'y arrive pas ?

Alors que je commençais à me sentir à l'aise dans mes fonctions, dans l'association et dans l'équipe qui m'entoure. Alors, et oui j'ose le dire, que j'avais (enfin!) confiance dans le boulot que je produis, voilà qu'une simple candidature vient tout bousculer.

Le week-end avant l'arrivée de Murielle, j'ai quasiment appris par cœur son livret de stage. Pour me rassurer, pour être sure de savoir à quoi je devais lui servir. Mais je dois avouer, je me suis retrouvée un peu perdue. Exactement le même sentiment que lorsque j'étais étudiante et que je découvrais mon propre livret de stage (qui au passage est resté exactement le même pour celui de Murielle).

Des mots qui torturent m'ont sauté aux yeux : « posture professionnelle », « éthique », « déontologie »... Des mots que je n'ai jamais vraiment compris ! Cette boule au ventre... Je ne l'ai plus ressentie depuis l'obtention de mon diplôme, symbole de ma libération du monde « scolaire ». Maintenant, je ne suis plus « notée », « évaluée », « jugée » sur mon travail. Je ne risque plus l'échec, je suis embauchée. L'évaluation annuelle que je fais avec ma chef chaque année ne met pas mon futur en jeu, je n'ai rien à perdre.

Ma peur du jugement revient...

Mon premier jour avec Murielle, j'ai vite été rassurée en voyant que je l'impressionnais ! Hahaha, ce sentiment de pouvoir m'a requinquée! Je me suis revue à sa place, il n'y a pas si longtemps que cela, à mon premier jour de stage de 2e année.

Un petit cartable bien rempli, une trousse débordant de stylos neufs et de fluos qui fonctionnent, un bloc note à l'odeur de nouveau, la règle de 20 cms sortie pour souligner la date du jour, les lunettes sur le nez... Murielle est en face de moi, stressée et attend que je prenne la parole.

Une pile instable des dossiers de mes suivis à ma gauche, mon fax qui n'arrête pas d'imprimer des pub pour un système de sécurité à tarif réduit à ma droite, mon calendrier de 2009 positionné au centre de mon bureau et qui me sert de sous-main, sous mes mains justement et mon stylo feutre bleu ouvert, en train de séché... Je sais que je dois prendre la parole mais je ne sais pas ce que je dois dire.

« Et bien voilà, nous y sommes, ton premier jour. » Les festivités sont lancées. A compter de cette phrase, je ne vais plus m'arrêter : présentation de l'asso, de mon boulot, organisation de la semaine, questions-réponses... Jusqu'à ce que ma gorge me rappelle que quand on parle plusieurs heures de suite à un moment, il faut boire. Ca tombe bien, il est déjà 17h30, première journée terminée.

Toute la semaine défile et chaque soir je rentre avec des maux de tête et le cerveau fatigué. Sans cesse expliquer pourquoi je fais ça et pas autre chose dans cette situation, d'où vient ce dispositif, pourquoi ce monsieur n'a pas droit à telle aide, je n'imaginais pas cela si prenant.

Murielle est une stagiaire très intéressée, curieuse et qui montre qu'elle a bien l'intention de retirer un maximum de son stage auprès de moi. Ses interrogations sont certes épuisantes mais me remettent aussi en question. « C'est vrai tiens, pourquoi je fais ça et pas autre chose pour ce monsieur ? » Je me rends compte que j'ai beaucoup d'automatismes. Alors depuis, je tente de faire attention et de prendre de nouveau le temps d'analyser davantage les situations.

Comme quoi, c'est sympa quand même une stagiaire !


vendredi 22 novembre 2013

L'adhésif ne collera plus

(Article écrit en janvier 2013)

Dans notre quotidien, on affronte parfois de grands évènements et on ne se dit pas assez souvent « wow, quand même, j’ai vécu ça et j’y ai fait face ». Il n’y a que le recul qui nous permet ça.

Il y a plusieurs mois j’ai vécu un évènement de ce type et ce n’est que maintenant, quand j’en parle autour de moi que je me rends compte de son ampleur.

Tadeusz a cette personnalité qui vous agace, vous met dans un tel état que vous en venez à faire exprès de ne pas passer devant sa fenêtre, voire pire encore, quand vous l’entendez arriver au loin, avec sa démarche si particulière, vous vous empressez de fermer votre porte de bureau pour essayer de lui faire croire que vous n’êtes pas là… Mais il n’est pas dupe.

C’est un homme au physique dérangeant, un regard à la fois sombre et vide, une manière d’aborder les gens particulière… surtout les dames : « Bonjour madame, je peux vous violer ? Mais je vous respecte hein !».

Et oui, aussi surprenant que cela puisse paraître, Tadeusz aspire à se marier un jour en abordant de la sorte la gente féminine . Ce comportement parmi d’autres lorsqu’il se trouve en dehors de la résidence n’est pas toujours compris, ni toléré. Cela lui a valu des problèmes avec la justice mais il est comme ça, il ne se rend pas toujours compte des conséquences de ses actes. Pourtant le juge lui a bien dit « monsieur, demander à une dame dans la rue si vous pouvez la violer, ce n’est pas la respecter », alors Tadeusz précise maintenant qu’il éprouve un grand respect pour ces dames, mais selon lui « je ne suis pas fou, faut pas croireles femmes elles m’aiment pas, elles ne veulent que des fleurs. »

Il occupe ses journées en déambulant dans les rues, à la recherche de LA femme qui acceptera ses avances. Le reste du temps, il regarde des reportages sur la Cinq et s’enivre de temps en temps bien que sa « maladie de l’alcool » comme il dit, soit loin derrière lui. Ses nombreux TOC prennent également beaucoup de place dans son quotidien :
Ouvrir-fermer ma porte de bureau/sonner chez lui avant d’entrer, mettre sa clé dans la porte, l’enlever, sonner de nouveau/vérifier sa boîte aux lettres/vérifier s’il a fait ses lacets…
Même si parfois ses raisonnements ne sont pas en phase avec la réalité, il est néanmoins quelqu’un de très intelligent : il est capable de vous situer chaque pays d’Afrique sur une carte vierge en vous précisant la capitale et la couleur du drapeau en moins de cinq minutes, il connait la valeur du riz en bourse et il a fait du karaté… parait-il.

Le souci avec Tadeusz est qu’il vient me voir environ 20 fois par jour (d’où son petit surnom « Adhésif ») pour me saluer et me dire qu’il me respecte. Oui, il est très poli vous me direz. Certains jours je m’en amuse et d’autres, quand la fatigue se fait sentir et que la journée est longue, juste l’entendre tourner autour de la porte de mon bureau  et mon sang ne fait qu’un tour. Je sais qu’il va « jouer » durant plusieurs minutes avec ma poignée de porte pour vérifier si celle-ci est bien fermée... Ou ouverte, à vrai dire je n’ai jamais compris ce qu’il vérifiait !

A le voir aussi souvent dans une journée, je peux presque dire que je le connais par cœur. Il y en a eu des moments où il partait dans des pensées sans queue ni tête et surtout n’ayant aucun rapport avec son dossier de CMU ou son renouvellement d’AAH pour lequel je l’avais convoqué initialement. 

Quand Tadeusz ne va pas, je le vois tout de suite.

Depuis plusieurs jours, il a un comportement étrange. Le changement n’étant pas dans ses habitudes, la moindre petite différence par rapport au jour précédent est flagrante et inquiétante. Tout est réglé dans sa vie. Je sais qu’à 11h, 12h et 14h30 il va vérifier sa boîte aux lettres. Mais en ce moment, il est fatigué, beaucoup moins nerveux et agité. Moins tonique. Moins « vivant ».

- "Je m’inquiète pour vous. Vous êtes malade ? 
- Non et vous la santé ça va Madame ?
- Oui oui, mais vous dormez bien en ce moment ? 
- Oui et vous vous dormez bien ? Mais le soir je suis fatigué des fois.
- Vous voyez toujours votre médecin tous les 15 jours ? 
- Oui et vous la santé ça va ? 
- Oui oui… Vous prenez bien vos médicaments ? 
Oui " et il me cite par cœur son long traitement.

Il n'en parle pas, mais quelque chose ne va pas. Ca se voit.

Les jours passent. Les semaines. Les mois. Je ne retrouve pas le Tadeusz initial mais je suis face à un monsieur qui me semble très fatigué voire abattu, qui paraît malade, au teint parfois gris, parfois jaunâtre, un laissé allé dans l’hygiène alors qu'un gros travail sur cela a été fait avec lui et qu’il avait saisi le sens du « prendre soin de soi ».

Je le vois tous les jours, je le croise. Ses TOC disparaissent. 
  
Lundi, fin de journée, sur la route du retour je revois ma journée défiler et j’ai un doute : ai-je vu l’Adhésif aujourd’hui ? Cette question me traverse l'esprit parmi tant d’autres : Que vais-je manger ce soir ? Peut-être que si je prends cette rue, je peux éviter les bouchons ?

Mardi, après le repas je discute avec les collègues. De manière innocente, je leur demande s’ils ont croisé Tadeusz car j’ai le sentiment de ne pas l’avoir vu depuis longtemps. On en plaisante : « Il s’est peut-être marié ?! », « Il s’est fait arrêté parce qu’il demandait une femme en mariage encore »… On en conclut que l’on va y prêter davantage attention.

J’ai pour habitude de tout noter dans mon cahier : qui vient me voir en permanence, pourquoi, quand. Même les nombreuses venues de Tadeusz y figurent. Je consulte mon cahier et mon cœur s'accélère. Je n’ai pas vu Tadeusz depuis jeudi dernier.  C’est donc le cinquième jour que je ne l’ai, ne serait-ce qu’aperçu… J’en informe mes collègues. De leur côté, ils réfléchissent. L’un d’entre eux l’a vu vendredi mais depuis, personne ne l’a vu… La journée se termine, nous décidonq que nous irons frapper chez lui demain.

Mercredi. Réunion surprise. Les grands chefs sont de passage et souhaitent que nous participions à cette réunion pour témoigner de notre quotidien. La journée passe et puis on oublie d’aller frapper à la porte de Tadeusz.  Bientôt l’heure de fermer le bureau. Je culpabilise et je veux en avoir le cœur net. Cette absence m’intrigue, m’inquiète. Je réfléchis : s’il était à l’hôpital ou s’il s’était fait arrêter, vu le personnage et vu son comportement peu habituel, nous aurions été prévenu d’une manière ou d’une autre. Il n’a pas pour habitude de partir en week-end. Il n’a aucune famille, aucun ami. Où est-il ? Cela a déjà trop traîné à mon goût. Avec l’ouvrier, nous commençons par regarder sa boîte aux lettres, qu’il vide plusieurs fois par jour, mais cette fois-çi… Elle est pleine. Elle contient du courrier datant de fin de semaine dernière.

Je sais déjà ce qu’il se passe. Depuis deux jours j’y songe.

Nous prenons une grande inspiration. Nous frappons à la porte du logement, pas de réponse.

Nous sonnons et frappons plus fort, en appelant « Tadeusz, Tadeusz, ouvre ! », pas de réponse.

Nous prenons le double de la clé du logement.

Nous inspirons calmement tous les deux.
L’ouvrier d’abord, moi derrière lui. Comme pour me protéger. Je redoutais plus que tout ce que nous allions découvrir. De cette manière, je ne prendrais pas les choses de plein fouet, « juste » le revers.

La clé est glissée dans la serrure et nous ouvrons la porte.

Tout va très vite ensuite.  Je tremble. J’appelle les pompiers qui me posent beaucoup de questions auxquelles je suis incapable de répondre : « respire-t-il ? », « est-il tombé ? », « dans quel état précis est-il ? »…

Je ne sais pas. Je n’ai pas vu grand-chose. Du sang, beaucoup de sang. Partout. Ses pieds sur le lit. J’imagine qu’il était allongé sur son lit. Une odeur insoutenable. Une envie de vomir,  et une réaction automatique : retenir ma respiration très longtemps.

La police, les pompiers arrivent.

La résidence est évacuée. L’odeur est tellement forte et s’est répandue dans toute la résidence qu’il est impossible de rester à l’intérieur.

Tadeusz est mort. Chez lui. Depuis vendredi dernier. Cinq jours. Seul.

Personne ne s’en est rendu compte. Personne n’a entendu. Rien senti.

Ce personnage si prenant, si présent a disparu si subitement.

Ce qui me secoue dans cette histoire c’est que cet homme est mort seul, chez lui. Quelques jours plus tard, c’est par hasard dans le journal que j’ai découvert qu’il avait été enterré. Il n’y a pas eu de cérémonie. Il a été enterré seul. Comme il l’a toujours été dans sa vie. Comme il est mort. Sans même un hommage. Sans un au revoir.

Un article est paru dans le journal local le lendemain de la découverte du décès. Le titre accrocheur annonçait la couleur : «  Une macabre découverte »… Un bon titre de bouquin. 

Dans la région, quelques semaines après cet évènement, le corps d’une personne décédée depuis plus de 15 ans a été découvert dans un triste état, comme vous pouvez l’imaginer. Personne ne s’était rendu compte de l’absence de cette dame durant toutes ces années. C’est le service logement de la ville qui en voyant cette maison tomber en ruine a commencé à s’inquiéter…

Il existe de nombreuses histoires comme celle-çi. Je viens de m'en rendre compte.

Après en avoir intérieurement voulu aux voisins de Tadeusz, je me suis posée cette question : « Et si l’un de mes voisin décédait ou disparaissait, est-ce que je m’en rendrais compte ? »

jeudi 21 novembre 2013

La poupée qui rêvait de faire NON

(Article écrit en avril 2013)

Martine est une petite poupée.

Pas dans sa taille,
Puisqu’ elle représente souvent le visage qui dépasse celui des autres sur les photos.

Pas dans sa tête,  
Puisqu’elle est capable de gérer mille et une choses à la fois avec une main de fer.
Elle n’a pas encore de vieux os et pourtant, dans son parcours elle en a vu de toutes les 
couleurs,

Et même si par humilité, elle ne cesse de se répéter qu’elle n’est pas des plus à plaindre,
Elle se sent petite aux yeux des autres.

L’avantage avec Martine c’est que l’on n’a pas besoin de lui demander de l’aide
Elle ne sait pas s’empêcher de se proposer.
Pour tout et pour rien.

Le bourrage qu’elle a dans le corps est essentiellement composé de chamallow.
Il lui arrive de regretter de s’être proposée spontanément,
Quant elle voit les proportions  que certaines situations peuvent prendre ensuite.
Elle est même parfois gênée de ne pas trouver comment aider les autres,
Ou de ne pas pouvoir les renseigner.

Les autres apprécient beaucoup Martine.
Sa fidélité, sa droiture et sa constance en font une poupée qui reste longtemps à leur côté.
Tous savent qu’ils peuvent compter sur elle.

Mais c’est là que Martine rêve de s’affirmer et de dire NON.
A force de toujours accepter ce qu’on lui propose,
Elle a découvert récemment le revers de la médaille :
Le surmenage.

Elle a accepté d’aider à droite, tout en travaillant à gauche,
Tout en accueillant une petite poupée qui voudrait devenir comme elle plus tard,
Tout en s’évadant l’esprit dans un projet personnel qui lui tient à cœur mais qui lui prend beaucoup de temps le soir.  
Au final, Martine doit être sur tous les fronts mais elle n’est nulle part,
Son esprit n’arrive plus à être là où il devrait être.
Alors le soir, elle dort, elle dort, elle dort.

Mais à la fin de l’histoire, le surmenage n’étant que provisoire,
 Martine a déjà repris son rythme quotidien en main.
Elle a compris la leçon, elle va apprendre à dire NON !