mercredi 4 décembre 2013

Le début de la fin

(Article écrit en janvier 2012)

La mort...

 

Un sujet qui m'a toujours semblé délicat, compliqué, à la limite du surnaturel. 
Je ne crois en aucune religion et pourtant, lorsqu'il s'agit de la mort, j'aime l'idée d'imaginer qu'il se passe quelque chose après. J'aime me dire que ce proche, ce voisin, cet ami qui s'en va, certes il ne reviendra plus, mais qu'il ne part pas si loin que ça. Cela me rassure.

 

Je me tiens volontairement éloignée des démarches à effectuer, des traditions et rituels qui s'appliquent lors d'un enterrement. Même lorsque celui-ci concernait l'un de mes proche. D'ailleurs, j'ai toujours fui comme la peste les enterrements.

 

Depuis mon premier emploi, j'ai fait face à quatre décès de personnes que j'accompagnais. Malgré la distance professionnelle que j'imposais entre ces personnes et moi ; malgré le fait que parfois j'ai eu envie de les secouer, de m'énerver sur ces personnes, je me suis attachée, je les ai parfois portées à bout de bras, je me suis souvent démenée pour elles en tentant désespérément d'améliorer leur quotidien. 
Qu'elles aient choisi de décéder ou que la maladie, l'âge aient eu raison d'elles, à chaque fois j'ai ressenti la même chose : une impression d'échec, parfois de la tristesse.

 

Mais cette fois c'est particulier.

 

Monsieur Khissanfou est un ancien migrant de 90 ans. Très malade depuis des années et l'âge avançant plus vite que la lumière, il sent la fin venir. Il a tout fait dans sa vie. Il a été militaire et a fait la guerre d'Algérie, a travaillé dans les mines, dans la manufacture et j'en passe. Des métiers pour lesquels à l'époque on ne se protégeait pas autant qu'aujourd'hui. Entre l'amiante, le charbon, les blessures de guerre, le tabac à rouler et à chiquer, il cumule les conséquences du passé.

 

C'est donc lors d'une visite à domicile que le sujet s'est imposé. Il fallait que je sache, au cas où. Très mal à l'aise et ne sachant pas comment aborder la chose, je me suis lancée :

 

- Vous me parlez souvent de votre santé qui se dégrade, de votre âge qui avance. Je dois vous poser une question qui n'est pas agréable. Avez-vous pensé au jour où... euh... il vous arriverait quelque chose ?

 

- Oui, oui. Tu dois téléphoner mon médecin, il me connait bien.
- Non... je voudrais savoir si vous avez réfléchi à... au lieu où vous voudriez aller après...
- Ah non, pas de maison de retraite ! Je reste ici, chez moi ! 
- Non, je ne parle pas de maison de retraite monsieur. Je veux dire... euh... Est-ce que vous avez réfléchi à ce que vous aimeriez qu'on fasse pour vous lorsque vous serez décédé ?
- Si je suis meurs, y'aura rien à faire pour moi puisque je suis meurs.
- Si, il y a des choses à faire. Il faut qu'on sache si vous souhaitez repartir au pays, rester ici, si voulez être enterré ou...
- Mais si je suis meurs tu fais qu'est-ce que tu veux. Je pourrais plus rien dire, je suis meurs !
- Justement, c'est pour ça que je veux savoir avant, ce que vous souhaitez. Ce serait bien qu'on prépare tout ça, comme ça vous choisissez si vous souhaitez une cérémonie ou pas, si vous voulez respecter les traditions musulmanes, etc...
- Mais tu savais, je connais pas tout ça. T'as les catalogues ?
- Non je n'ai pas de catalogues mais si vous souhaitez, je peux aller chercher des plaquettes de pompes funèbres et on y regarde ensemble.

 

Mon tour des pompes funèbres du coin a débuté de cette façon. Ne maîtrisant pas vraiment le vocabulaire lié à la mort, un gérant de pompes funèbres m'a alors prêté généreusement un catalogue des produits qu'ils proposent à ces clients.

Muni de mon catalogue, je suis retournée voir monsieur Khissanfou chez lui. J'appréhendais ses questions, qu'il me demande conseil sur les choix à faire alors que je n'y connais absolument rien !

 

Tout naturellement il s'est saisi du catalogue, s'est assis à côté de moi et a commencé à feuilleter l'énorme bouquin. D'abord silencieux. Puis... Comme deux copines qui regardent le catalogue de la Redoute, le silence s'est brisé :

 

- C'est cher ! Y font pas les soldes à la pompe ?
- Non ! C'est vrai que ce serait bien quand même !
- Je crois que le matelas dedans il est encore mieux que mon matelas. Je vais mieux dormir là dedans !
- Celui là, il peut s'ouvrir, comme ça on peut voir ma tête qui dépasse, je peux voir les gens ! Il est beau... j'aime pas les poignées et c'est trop grand pour moi. Je suis petit, je chausse du 40 ! Mais... Si je prends une boite fermée, comment que je vais respirer ?
- Euh... vous ne respirerez plus puisque « cette boite » comme vous dites, vous n'y serez que lorsque vous serez décédé. On ne fait que préparer à l'avance mais on va pas commander tout cela maintenant, on ne peut pas.
- Ah parce que je me demandais où j'allais ranger la boite !

 

Et c'est ainsi que nous avons choisi « la boite » de ce monsieur. Très curieusement, j'ai trouvé cela amusant.

 

Comme quoi, je fais toute une tragédie de ce qui touche de près ou de loin à la mort. Mais avec de la simplicité, un peu d'humour et beaucoup de dédramatisation, les sujets les plus difficiles semblent tout de suite moins graves.

 

Évidement, j'ai conscience que cela n'est pas possible avec tout le monde. Ce monsieur par sa méconnaissance m'a permis de voir les choses avec légèreté.



Ce ne sera pas le cas à chaque fois... Prochaine fois que je redoute déjà...
 
        pompes-funebres.jpg

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