lundi 13 janvier 2014

Le jour où Rafiky est parti...

(Article écrit le 26/12/11)

Je vous ai présenté Rafiky (Cf : Le rhume de Rafiky).

J'accompagnais ce grand sage sénégalais quotidiennement. Je me suis vite attachée à ce personnage peu ordinaire. Il me faisait voyager par sa prestance, sa façon de parler, de s'habiller. 

Le rêve de Rafiky était de retourner au pays. Il en parlait tous les jours avec nostalgie. 20 ans qu'il n'a pas vu sa femme sénégalaise, ses grands enfants... et n'a jamais vu ses petits-enfants autrement qu'en photo.

Ce projet lui tenait à coeur.

Je m'en suis fait une mission : l'aider à réaliser ce rêve.

Chaque mois, je l'accompagnais à La Poste pour retirer 80€ qu'il glissait dans sa tirelire en forme d'avion, ses économies pour partir.

Chaque jour ou presque, je l'aidais à se préparer à ce grand voyage : nous regardions des photos de Coumbaloulou, son village, et des vidéos que nous trouvions sur internet, nous téléphonions à sa femme, ses enfants, il s'entraînait ainsi à pratiquer de nouveau le wolof, son dialecte.

Il craignait que son village ait trop changé en 20 ans et qu'il n'y retrouve plus ses repères.

Le temps a fait son effet : la tirelire en forme d'avion s'est transformée en billet d'avion, un aller au départ de Paris. Rafiky a suivi mes conseils : pour le retour, il prendra son billet sur place, quand il souhaitera revenir. Je ne lui ai jamais dit ouvertement pourquoi, je pense qu'il avait compris. Il ne reviendrait sans doute pas.

Et puis, j'ai changé de lieu de travail tout en restant dans la même association. C'était important pour lui que je puisse l'accompagner jusqu'à son départ, nous l'avions convenu avec ma remplaçante.

La veille du grand départ, Rafiky m'a téléphoné à mon nouveau bureau. Il voulait me remercier et m'informer de son départ. Me dire au revoir : "Ba suba ak jam" puis rire de façon très communicative, comme toujours.

Il m'a expliqué qu'il avait le sentiment que son coeur se divisait en deux : une moitié heureuse de retrouver enfin ses origines, l'autre moitié triste de quitter son "chez lui" français. Il ne trouvait pas les mots pour le dire mais je pense qu'il avait très peur.
Il m'a aussi demandé l'adresse de mon nouveau bureau pour m'envoyer une carte postale.

Si j'avais pu l'emmener jusqu'à l'aéroport, je l'aurai fait. Mais c'est son "neveu" de religion qui s'en est chargé, ma chef n'aurait jamais accepté les frais de déplacements !

Du haut de ses 89 ans, ce cher Rafiky est monté dans l'avion, inondé d'émotions, partagé entre l'excitation du voyage et certainement ce sous-entendu que nous n'avions jamais verbalisé mais qui nous trottait dans la tête.

Je l'ai accompagné le plus longtemps possible. Sans doute qu'au delà de sa demande, j'en avais besoin moi aussi. C'était mon moyen de lui dire au revoir. 

Rafiky est parti... il ne reviendra plus. Et nous le savions tous les deux, cet au revoir était un adieu.

Ce qui m'attriste quand je pense à lui, c'est que son rêve ne s'est finalement pas réalisé, il était si prêt du but et pourtant... C'est dans l'avion, au cours d'une sieste, que Rafiky est décédé.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire